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Article dans « Le Monde.fr »

A la ferme collective du Jointout, « être à plusieurs est un énorme atout »

Par Anne Guillard

Décembre 2021

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REPORTAGE

Aux confins des départements du Jura et de la Saône-et-Loire, l’exploitation mêle agriculture biologique, activités d’élevage et maraîchage de légumes. Pourtant, aucun des associés ne vient du milieu agricole.

 

En cette fin d’automne, la trentaine de chèvres poitevines – plus frileuses que la centaine de brebis laitières qui pâturent encore – ne sortent plus de la bergerie de la ferme du Jointout, en Saône-et-Loire. Comme tous les lundis à midi, les membres associés du groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) sont réunis autour d’un déjeuner. Il y a là Adele et Thomas Trueblood, les maraîchers, Mathieu Bidault, le chevrier installé en 2018, et Raphaël Jacquemond, le berger, qui les rejoindra en tant qu’associé dès janvier.

Ce 21 novembre, Raphaël a oublié de préparer le repas. « Ça a ses avantages et ses inconvénients, les collectifs », s’amuse Mathieu, 44 ans, tandis qu’une omelette aux pleurotes s’improvise. « Dans mes échanges, je devrais être plus explicite ! », lance énergiquement Adele après ce loupé, lors d’un premier tour de table qui fait office de « météo des humeurs ». Les propos roulent ensuite sur les problématiques en cours : que faire de la vieille remorque ? Où installer les silos pour le grain des animaux ? Qui le prend en charge ?

Aux confins des départements du Jura et de la Saône-et-Loire, l’exploitation de 45 hectares conjugue agriculture biologique, activités d’élevage de races rustiques et de transformation du lait et maraîchage de légumes. Aucun des associés ne vient du milieu agricole. Raphaël, 51 ans, ancien graphiste et styliste dans la mode, est en reconversion professionnelle. Il est berger sur la ferme depuis un an. Il réalise son « rêve d’enfance : travailler dans l’agriculture ». Mathieu est certes chevrier de formation, mais a collectionné les expériences : il s’est notamment occupé d’enfants autistes et a été auxiliaire de vie.

Originaire de Chicago et naturalisée française en 2020, Adele, 40 ans, ex-étudiante en histoire et en français, a vécu dans « des fermes à plusieurs » depuis qu’elle a 18 ans, notamment au Royaume-Uni où elle a rencontré son mari, Thomas. Cet Allemand de 49 ans a milité dans sa jeunesse « dans des mouvements environnementalistes et écologistes radicaux », et a depuis travaillé dans l’agriculture.

Parents de deux enfants, Adele et Thomas, curieux de connaître le fonctionnement d’autres collectifs à travers la planète, ont notamment visité un écovillage quasi autonome, à Findhorn, en Ecosse, et visité un kibboutz en Israël. Thomas a « toujours souhaité consommer moins, mutualiser tours de cuisine, atelier de bricolage, sciage de bûches pour le chauffage, etc. ». Il tient cependant à nuancer l’ambition purement autarcique souvent rencontrée dans ce type de démarche. Lui veut vivre de son activité. « Je cherche à participer à la société d’une façon commerciale », « pas [à] être marginal », sourit-il derrière ses lunettes cerclées.

« A plusieurs, c’est difficile, mais tout seul c’est impossible »

Le couple est installé depuis 2009 au Jointout, sur la commune de Torpes, en Bresse bourguignonne. L’écolieu voisin du Portail, qui expérimente la gestion collective d’un lieu de vie et d’activités en milieu rural, cherchait à soutenir des paysans en bio. Adele et Thomas foncent dans le projet avec Alix et son mari, Yan Lagouge, un ancien salarié dans la pharmacochimie reconverti en berger et avec lequel ils ont passé leur brevet professionnel responsable d’entreprise agricole, le sésame pour s’installer.

La ferme a bénéficié du réseau de l’écolieu et du cédant, Gabriel Rebouillat, alias Gaby. Sans descendance directe, cet éleveur de vaches laitières, mort le 6 décembre à 71 ans, a favorisé l’installation d’un collectif de jeunes repreneurs sur ses terres héritées de ses parents et rachetées par Terre de liens, un mouvement citoyen qui acquiert des fermes avec de l’épargne solidaire et les loue à des agriculteurs en bio ou en production paysanne.

Le GAEC commercialise sa production en vente directe à l’écolieu, sur des marchés de plein air hebdomadaires à Beaune, Nuits-Saint-Georges, Lons-le-Saunier, et dans des magasins de producteurs et biologiques (Biocoop, etc.). « La tomme et les yaourts de brebis ont été médaillés d’or en 2019 » lors du concours régional des fromages de Bourgogne, se réjouit Mathieu, qui « adore nourrir les gens ». Les agneaux de lait élevés sous la mère font les délices de plusieurs restaurateurs de Beaune, dont le restaurant gastronomique Loiseau des Vignes.

TChaque associé perçoit, pour quarante à quarante-cinq heures de travail par semaine en moyenne, une rémunération d’un smic, et le résultat en fin d’année est partagé lorsqu’il est positif. Chacun a droit à trois semaines de congés payés. « Etre à plusieurs est un énorme atout. C’est difficile, mais tout seul c’est impossible », affirme Adele. Elle estime que Gaby, à 71 ans, « en paraissait 90, bousillé par le travail ». « Nous, les néoruraux, on ne veut pas bosser comme des fous. Le choix des petits ruminants et du maraîchage permet de nous dégager du temps. » Sur les marchés, ils peuvent se relayer en cas de problème, et sont de garde auprès des animaux un week-end sur trois.

« Entre une agriculture de firme, financiarisée, branchée sur les grands marchés mondiaux, et un modèle familial menacé, on observe le développement de ce type d’organisation collective, avec de nouveaux entrants qui ont un capital culturel élevé. Ils ont bourlingué et défendent un modèle qui intègre l’environnement et la santé, mettent en place des circuits courts. Il y a une véritable convergence entre ces nouvelles agricultures et les relocalisations de programmes alimentaires », explique au Monde Bertrand Hervieu, sociologue spécialiste des questions rurales et agricoles.

« Ce type d’agriculture mène une réflexion sur la complexité. Les gens qui s’y engagent ne le font pas forcément pour la vie et développent des approches innovantes en termes de partage de la charge mentale, cherchant à concilier les choses. »

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« Vivre selon une cohérence écologique »

Ecolieu et ferme collective, situés à quelque 150 mètres l’un de l’autre, sont deux entités qui s’irriguent l’une l’autre depuis douze ans, portés par la même exigence de « vivre selon une cohérence écologique », comme le résume André Regler, 70 ans, inscrit dans le projet quasiment depuis le départ avec sa compagne, Françoise Bergère, 67 ans.

Pour ces militants d’Attac, promoteurs des premières associations pour le maintien d’une agriculture paysanne dans le Jura, « être en collectif, c’est choisir ses voisins ». Un permis de construire a été déposé pour un habitat groupé, basse consommation, qui serait jouxté à une salle de coworking, un bureau, un atelier, une salle associative, une cuisine collective et un cabinet d’ostéopathie, abrités dans un nouveau bâtiment associatif professionnel, l’ancien ayant brûlé en 2018. Une yourte fait office de lieu de réunion, en attendant.

La municipalité de Torpes soutient le projet et verrait d’un bon œil la venue de « quatre ou cinq familles supplémentaires » dans sa commune de 380 âmes. Le maire, Dominique Huguenot, considère comme « un réel atout » les activités des collectifs, comme la vente, tous les vendredis en fin d’après-midi sur l’écolieu, de la production du groupement agricole couplée à une offre élargie d’autres producteurs (farine, beurre, lait, champignons, légumineuses, etc.) avec le groupement d’achat coopératif Alter’conso. « Ça amène du monde », assure l’élu.

Une complémentarité dont Orianne Guillou, venue faire un point le 22 novembre à la ferme, se fait également l’écho. La coordinatrice de Terre de liens pour la région Bourgogne-Franche-Comté se félicite « du dynamisme du GAEC et du soutien citoyen autour », même si l’épidémie de Covid-19 a mis un sérieux coup de frein à certaines animations, comme les ateliers cuisine, les soirées débats, les soirées jeux, ou les cafés citoyens. « Le but est d’ancrer la ferme dans son territoire, rappelle-t-elle. Avec les marchés, la vente directe, l’accueil d’apprentis et de “woofers”, la dynamique est bien présente. » « Sur une exploitation qui faisait vivre une personne, on a un collectif qui recrée du lien entre le citoyen et les agriculteurs », s’enthousiasme-t-elle, citant souvent la ferme en exemple comme « un modèle agricole qui est l’avenir ».

Les projets et les associations fourmillent pour travailler l’impact sur le paysage, améliorer la captation du carbone par les haies, la biodiversité animale, etc. « On essaye de réfléchir les choses ensemble, comment on a envie de vivre, comment on voit l’avenir de l’agriculture », précise Adele, par ailleurs engagée à la Confédération paysanne.

« Passer de la motivation à l’engagement »

La vie d’un collectif n’est pas un long fleuve tranquille. Après un conflit violent qui a opposé certains de ses membres à un boulanger installé sur le fournil associatif de l’écolieu jusqu’en 2018, le groupe a fait appel à un médiateur extérieur, Dominique Lataste, un psychosociologue du cabinet Autrement dit, un organisme de formation qui accompagne des collectifs agricoles. Il « nous a aidés à changer les relations », en « définissant les responsabilités », relate Adele.

« Toutes ces périodes de conflit m’ont beaucoup appris sur moi-même », observe Yan Lagouge, 47 ans, aujourd’hui conseiller municipal du village voisin, Chapelle-Voland, et qui se vit désormais « plus comme facilitateur ». Musicien, il a quitté le GAEC en tant qu’associé pour mener à bien des projets personnels, comme celui de bâtir une petite salle de méditation, mais il y travaille toujours en CDI intermittent, trois cents heures par an environ. Des « réunions de régulation » ont été mises en place. « Un espace où on peut se dire les choses, ce qu’on a apprécié et l’inverse », précise Thomas Trueblood. « Le volet humain est très important dans un collectif », observe Orianne Guillou, voyant dans l’accompagnement du GAEC sa pérennité.

Selon Brigitte Chizelle, sociologue et formatrice au sein du cabinet Autrement dit, « une des caractéristiques des collectifs du monde agricole est leur souhait de constituer un groupe non hiérarchique, horizontal, où tout le monde participe aux décisions ». Un fonctionnement évident sur le papier, mais plus ardu dans la pratique. « Il va falloir passer de la motivation à l’engagement, ce qui peut provoquer des tensions. Si chacun défend son idéal, ça coince », assure-t-elle. Il va s’agir de mettre en place des outils pour « créer du consensus, savoir ce qui est acceptable pour le groupe et le bien collectif ».

Si la vie de ces collectifs n’est pas simple, jalonnée de crises existentielles, affectives, « cette approche agroécologique qui concilie respect des sols et prise en compte du changement climatique » pourrait constituer une des réponses pour « nourrir la planète autrement », estime, de son côté, Bertrand Hervieu.

Au Jointout, il est l’heure de désherber la phythoépuration, de ramasser les derniers légumes avant l’hiver, de repiquer la mâche, de préparer le marché de Noël communal. Marie, la compagne de Mathieu, pourrait devenir la cinquième associée du GAEC. Elle travaille sur un projet de boulangerie paysanne.

Les candidats à l’installation, en quelques chiffres

Plus de 60 % des candidats à l’installation ne sont pas issus du milieu agricole, selon des statistiques des chambres d’agriculture. Sans réseaux et avec peu de capitaux pour accéder au foncier, ils recherchent des petites à moyennes surfaces et plus de 20 % souhaitent s’installer en bio.

Les questions de la transmission et de la reprise des exploitations en France se posent de façon abrupte. En près de quarante ans, alors que la taille des exploitations a augmenté, la part des exploitants agricoles dans l’emploi a fortement diminué, passant de 7,1 % en 1982 à 1,5 % en 2019, et la profession compte de plus en plus d’hommes vieillissants, comme le révélait une note « Focus » de l’Insee en 2020. D’ici à 2030, la moitié des exploitants agricoles partira à la retraite.

Même si la surface agricole est restée quasi stable, la France métropolitaine a perdu quelque 100 000 exploitations agricoles en dix ans, ce qui représente une chute de 21 %. Désormais, le pays n’en compte plus que 389 000, selon les premières données révélées le 10 novembre dans le cadre du recensement agricole 2020.

La ferme du jointout triple médaillée

« Au début, on a cru que l’on n’avait rien eu. On était un peu déçu. En fait, on s’était trompé de liste. Obtenir trois médailles au concours régional des fromages fermiers et laitiers, c’est une réelle fierté. C’est le meilleur résultat que nous avons eu depuis notre première participation, il y a trois ans », sourit Adèle Trueblood, l’une des associés de la ferme du Jointout.

Les fromages de cette exploitation, installée de puis sept ans à Torpes, ont reçu deux médailles d’argent pour un fromage frais de chèvre et un fromage de brebis demi-sec. La médaille d’or revient au yaourt produit par la ferme. « Au total, nous avions proposé six produits. Il y a une grille d’évaluation qui, selon les appréciations, permet d’obtenir une médaille ou non », précise Adèle Trueblood.

Une centaine de brebis et quarante chèvres

La ferme du Jointout produit du fromage bio de brebis et de chèvre. « Nous avons environ 100 brebis et une quarantaine de chèvres. Nous fabriquons du yaourt, de la feta, de la tomme, des crottins de chèvre, des bûches, des pâtes molles et des fromages frais aux herbes. Nous faisons principalement de la vente directe, environ 80 % de notre production. »

Même si Adèle Trueblood n’accorde pas énormément d’importance aux concours, elle admet que c’est l’occasion de se mesurer aux autres. « Et puis cela permet également de s’intégrer dans la profession, c’est important. »

 

Article du JSL